Les premières grandes collections d’estampes européennes aux Etats-Unis – 3/3

Vente en ligne d'estampes modernes et anciennes

Les premières grandes collections d’estampes européennes aux Etats-Unis – 3/3

Troisième et dernière partie : Les premiers grands collectionneurs américains d’estampes européennes

Dans cette singulière histoire à remonter le temps, les faits nous montrent qu’au début du 19ème siècle, la constitution de collections d’estampes d’origine européenne aux USA est beaucoup plus le fait de personnalités privées que d’institutions officielles.

Collectionner des estampes européennes : une passion personnelle !

La constitution de collections d’estampes d’origine européenne est pour l’essentiel le fait d’hommes d’affaires, de juristes et d’architectes assez célèbres et aisés. Ils vouent une passion pour l’estampe et, vers la fin de leur vie, cèdent souvent tout ou partie de leur collection à une institution muséale, réflexe typiquement nord-Américain.

Tous ces collectionneurs privés n’ont pas forcément voyagé en Europe ou n’y ont entrepris que quelques voyages à l’exemple de Francis Callay Gray. Il faut donc une vraie volonté pour constituer à cette époque une collection d’estampes anciennes. Certes, sans la présence de nombreux marchands d’art aux Etats-Unis, la diffusion de l’art européen n’aurait pas été possible, mais dans la première moitié du 19ème siècle, le moins que l’on puisse dire est que ces marchands d’art ne sont pas nombreux à l’instar de la maison française Goupil, spécialisée dans l’estampe.

Vue de New York vers 1830 par le graveur S. Davenport

Et vint Goupil, Vibert & Co.

En 1847, la maison Goupil envoie à New York William Schaus, un émigré allemand travaillant dans ses bureaux parisiens pour prospecter le marché local. En 1848, elle y ouvre une succursale sous le nom Goupil, Vibert & Co. Son avantage concurrentiel réside alors dans sa capacité à fournir de belles estampes européennes aux collectionneurs, ce qui devient la clé du succès de la galerie.

Goupil et Vibert représentent déjà Paul Delaroche (1797–1856), Horace Vernet (1789–1863) et Ary Scheffer (1795–1858)(a), trois des artistes français les plus célèbres de l’époque. Le fait d’être élu membre honoraire de la ‘National Academy of Design’ (b) facilite l’entrée de Goupil, Vibert & Co. sur le marché de l’art américain.

(a) Ary Scheffer est un peintre français d’origine hollandaise. Il s'est imposé parmi les maîtres de la peinture romantique française.
(b) L'Académie américaine des beaux-arts (en anglais National Academy of Design, aujourd'hui plus simplement nommée The National Academy) est une association d'artistes ainsi qu'un musée et une école des beaux-arts dont le siège est à New York. Elle fut fondée en 1825 par Samuel Morse, Asher Durand, Thomas Cole, et d'autres dans le but de promouvoir les beaux arts en Amérique par l'enseignement et grâce à des expositions.

En Février 1848, William Schaus devient le premier directeur de la succursale de New York située le long de Broadway Avenue, au 289. Avec une telle implantation, Goupil bénéficie d’une formidable publicité en figurant parmi les autres grands magasins et bâtiments peuplant la prestigieuse avenue.

On peut voir la maison Goupil dans l’illustration « A panoramic view of Broadway, New York city, commencing at the Astor House ».

Cette gravure sur bois d’Henry Bricher (ca 1817-?) qu’il conçoit dans le style de la bande dessinée (trois longues bandes superposées), est publiée en pleine page centrale (p. 168-169) en mars 1854 par le journal ‘Gleason’s Pictorial Drawing-Room Companion’. C’est un périodique illustré produit à Boston, Massachusetts, de 1851 à 1859. Voir les photos a1 et a2 ci-dessous.

Original title: A Panoramic View of Broadway, New York City, Commencing at the Astor House. West side, from Astor House to 321 Broadway (Singer Sewing Machines), near Thomas Street. Illustration published in the Gleason's Pictorial, Vol. VI. No. 11, Boston, March 18, 1854.

Photo a1 : Goupil & Co apparait à l’extrême gauche de la bande centrale

Goupil & Co tel que figurant dans la lithographie ‘A panoramic view of Broadway, New York City (…)’

Photo a2 : Goupil & Co parmi les autres commerces de l’avenue….

Goupil & Co à l’extrême gauche du dessin

Avec une implantation aussi prestigieuse, Goupil, Vibert & Co bénéficie de l’affluence de nombreux hommes d’affaires, marchands, collectionneurs et flâneurs. Wiliam Schaus est ensuite remplacé par le fils d’Adolphe Goupil, Léon, puis en 1855 par Michel Knoedler, qui rachète la participation de Goupil en 1857, mais les deux entités restent en affaires jusqu’en 1914.

Avant l’ouverture de Goupil Vibert & Co à New York en 1848, très peu d’art européen entre sur le marché embryonnaire de l’art américain et très peu de marchands osent créer une galerie, comme l’explique Adolphe Goupil: «Jusqu’en 1848, les exportations d’estampes vers les États-Unis étaient presque nulles, [et ] les exportations de peinture n’existaient pas. ». Goupil, Vibert & Co. estime alors que le marché de l’art américain a un potentiel énorme et qu’il y a peu de concurrence.

Qu’est-ce qui est fait au niveau institutionnel ?

Au niveau institutionnel, tout au long du 19ème siècle, le Gouvernement fédéral n’intervient pas dans le développement des musées. Aucun ministère de tutelle n’encourage, ni n’inspire leur création. Dans la première moitié du XIXe siècle, des institutions telles que des « académies », des universités et des sociétés savantes, sont fondées. Elles constituent des collections qui sont parfois importantes et demeurent ouvertes au public. La catégorie d’institutions muséales la plus importante est celle constituée par les Historical ou Natural History Societies. Près d’une cinquantaine de ces institutions est dénombrée dans cette première moitié du 19ème siècle.

Une grande ville comme New York possède sa New York Historical Society (1804) et par exemple une plus petite comme Salem dans le Massachusetts possède sa Essex County Natural History Society (1833). Leur mission est surtout la recherche, les objets de collection sont présentés sans ordre précis et peu de personnel est attaché à ces instituts. Ce qui aiguise la curiosité des habitants des premiers États américains est avant tout l’histoire naturelle. Elle exprime leur désir de découvrir leur nouvel environnement, de mieux le connaître et le comprendre afin de mieux l’exploiter dans la vie quotidienne, nous sommes loin des estampes anciennes d’origine européenne…

Dans ce contexte singulier, émergent malgré tout quelques grands collectionneurs américains d’estampes. Outre Marsh, il faut mentionner son contemporain, Francis Calley Gray (1790–1856).

Francis Calley Gray (1790–1856), avocat

Gray, fils d’un riche marchand de Salem, dans le Massachusetts, est diplômé de l’Université Harvard (1809) et devient avocat à Boston. Il est nommé secrétaire privé de John Quincy Adams et est élu membre de la Chambre des représentants du Massachusetts et président du Boston Athenæum. Gray est élu membre de l’Académie américaine des arts et des sciences en 1819 puis membre de l’American Antiquarian Society en 1820.

Gray va constituer une collection de pas moins trois mille gravures. Il lègue celle-ci à son neveu William qui la cède ensuite au Harvard College. Cette collection formera ultérieurement le coeur de la collection du Fogg Art Museum (c). En 1859, Harvard nomme l’expert d’origine allemande Louis Thies au poste de conservateur et, dix ans plus tard, Thies publie en 1869 un catalogue de la collection Gray d’estampes.

(c) Le Fogg Art Museum est un musée de la ville de Cambridge dans l'État du Massachusetts (États-Unis). Il est rattaché aux musées d'art de l'Université Harvard. Le Fogg Art Museum est le plus vieux des musées de l'université Harvard (1895). Il couvre l'histoire de l'art occidental qui s'étend du Moyen Âge jusqu'à aujourd'hui. Le musée a ouvert ses portes au public en 1895.

Parmi les quelques autres “primo-collectionneurs” Nord-Américains identifiables, il faut citer Ithiel Town, Robert Gilmor, Jr., James L. Claghorn, Henry Foster Sewall, le sénateur Charles Sumner de Boston et quelques autres.

Ithiel Town (1784-1844), architecte

Ithiel Town (1784-1844) est un architecte et un ingénieur civil américain. Il figure parmi l’une des premières générations d’architectes professionnels aux États-Unis. Il apporte une contribution significative à l’architecture américaine dans la première moitié du XIXe siècle. Son travail, dans les styles d’architecture néo-grecque et gothique néo-renaissance, est influent et largement copié.

Town a une passion pour collectionner les livres d’architecture, les estampes et les peintures. Il visite l’Europe au moins deux fois, en 1829 et en 1843. A la fin de sa vie, la collection de Town est réputée contenir environ 11.000 ouvrages, 20.000 à 25.000 estampes à la feuille, 117 portefeuilles d’estampes et 170 peintures. En 1834, William Dunlap (1766-1839) – pionnier du théâtre américain, producteur, dramaturge, acteur, ainsi qu’un historien – décrit la bibliothèque de Town comme “magnifique et sans rival d’aucune sorte en Amérique” (Source: The Grove Encyclopedia of American Art, Volume 1, De Joan M. Marte, à propos de ‘Town Ethiel’, page 57).

Robert Gilmor, Jr., (1774-1848), armateur, importateur

Robert Gilmor, Jr., (1774-1848) est un marchand américain, armateur, importateur des Indes orientales et collectionneur d’art de Baltimore. Il est considéré comme “l’un des collectionneurs et mécènes les plus importants des États-Unis avant 1850”. (Cf. Baltimore, collectionneur et mécène américain (Bibliothèque de l’Université de Virginie).

Sa collection comprend de l’art, des antiquités, des livres rares, des autographes, des pièces de monnaie, des timbres, des gravures, des roches et des minéraux. Sa collection comprend des maîtres anciens du XIVe siècle et des œuvres hollandaises et flamandes du XVIIe siècle (Cf. Annuaire des archives pour l’histoire de la collection en Amérique). (Source: Wikipedia). Parmi sa collection figurent environ 2.500 gravures et dessins. Elle est dispersée en deux vacations peu de temps après sa mort en 1863 et 1875. (Source : The Grove Encyclopedia of American Art, Volume 1, De Joan M. Marter, page 336/337).

James L. Claghorn, ( ? – 1882), banquier américain de Baltimore

Ce financier prend la direction de la ‘Pennsylvania Academy of the fine arts’ créée en 1807. Claghorn, l’un des plus grands collectionneurs de dessins et de gravures d’Amérique, travaille au Conseil de l’Académie avec un autre membre, Henry C. Gibson (1830-1891), et ces deux collectionneurs font des dons substantiels à cette institution.

Claghorn rassemble l’une des premières collections d’estampes des États-Unis (environ 28.000 pièces), constituée de bonnes épreuves de toutes les écoles mais pas de pièce majeure. T. Harrison Garrett achète cet ensemble en 1885, puis le lègue au Musée d’Art de Baltimore (i.e. La collection Garrett).

Nous savons que Claghorn prête ses pièces pour des expositions. Ainsi 180 estampes de sa collection sont par exemple exposées au Metropolitan Museum of Art de New York en 1874 et qu’un catalogue est édité à ce propos. Source : https://www.worldcat.org/title/catalogue-of-engravings-etchings-and-mezzotints-belonging-to-james-l-claghorn-of-philadelphia-and-lent-by-him-for-exhibition-at-the-metropolitan-museum-of-art-128-west-14th-street-new-york-february-1874/oclc/245522905.

Henry Foster Sewall (1816 – † vers 1895), négociant

Henry Foster Sewall (1816 – † vers 1895), négociant, est l’un des premiers collectionneurs d’estampes en Amérique et lorsqu’il meurt à un âge avancé, il laisse une vaste collection de 23.000 feuilles, embrassant toute l’histoire de l’estampe. Sewall prête aussi généreusement sa collection. En 1879, par exemple, il expose à Cincinnati sa magnifique gravure du XVème siècle signée Antonio Pollaiuolo vers 1465 « Combat d’hommes nus » (d).

(d) « Combat d’hommes nus » est une gravure au burin, utilisant la technique du niellage, réalisée vers 1465–1475 par l’orfèvre et sculpteur florentin Antonio Pollaiuolo. Elle est considérée comme l’une des plus importantes et remarquables estampes de la Renaissance italienne.

Un an après la mort de Sewall en 1896, le Musée des beaux-arts de Boston achète sa collection grâce à un legs de Harvey D. Parker. La collection porte donc le nom de Parker, et Sewall est indiqué dans les notes de provenance de la base de données du musée.

Charles Sumner (1811 – 1874), sénateur

Le sénateur Charles Sumner (Boston, 1811 – Washington, 1874) est un homme politique américain. Avocat célèbre pour son art oratoire, le sénateur Sumner est connu dans le Massachusetts comme un fervent abolitionniste et réformateur lorsqu’il est élu en 1851. Après qu’un membre du Congrès du Sud agresse Sumner au Sénat en mai 1856, le battant presque à mort, le sénateur handicapé étudie les gravures durant sa longue convalescence. Sumner étudie la Grey Collection à Cambridge et remercie son conservateur Thies pour son aide lorsqu’il publie en 1875 un essai ‘The Best Portraits in Engravings’ (F. Keppel & Company, 1875).

De façon plus anecdotique pour l’estampe, on peut appeler le rôle d’un autre collectionneur, John Varden (1790-1865). C’est un collectionneur américain d’antiquités et de curiosités historiques de Washington D.C. Dans les années 1830, il acquiert trois gravures sur bois de Dürer. Il les destine à son musée privé appelé le ‘Washington Museum of Curiosities’ qu’il ouvre dans son propre appartement. En 1841 il est contraint d’en fermer les portes pour des raisons financières et il vend sa collection au ‘National Institute for the Promotion of Science’ dont il devient l’un des conservateurs. Ces estampes parviennent au Smithsonian vers 1860 avec le Varden’s Museum lorsque les collections sont déménagées du ‘National Institute for the Promotion of Science’. Il travaille au Smithsonian de 1858 jusqu’à sa mort en 1865. (Source : Wikipedia & https://americanhistory.si.edu).

Samuel Jones Tilden (1814-1886)

En 1841, Samuel J. Tilden entame une carrière d’avocat qui en fait un homme riche. Il défend notamment les intérêts des chemins de fer dont il reçoit des actions et conseille les hommes d’affaires Jay Gould et James Fisk. Il est le candidat démocrate à la présidence des États-Unis en 1876 mais il perd l’élection présidentielle en termes de grands électeurs au profit du candidat républicain Rutherford B. Hayes à la suite de fraudes dans plusieurs États du Sud.

A cette époque Tilden est l’un des plus importants collectionneurs d’estampes et caricatures de l’anglais Gillray (1756-1815). Cette collection inclut aussi certains des dessins préparatoires de l’artiste ainsi que ses lettres autographes. Tilden acquiert de nombreuses pièces de sa collection par l’entremise du libraire New Yorkais M. J. W. Bouton. Il en acquiert aussi par l’achat de blocs entiers auprès de collectionneurs privés anglais.

Il lègue à la ville de New York une large partie de sa collection en vue de la création d’une bibliothèque publique, c’est-à-dire sa collection de caricatures britanniques, y compris un album assemblé par Horace Walpole (1717-1797), une collection presque complète d’estampes de William Hogarth.

Les estampes de Tilden incite Frank Weitenkampf 1866-1962), premier conservateur de la collection et directeur du département des arts graphiques de la New York Public Library (NYPL), a poursuivre la constitution d’un important fond de caricatures américaines. Source : https://academic.oup.com/jhc/article/16/2/255/572281

Henry Edwards Huntington (1850-1927)

Henry E. Huntington est un magnat des chemins de fer et un collectionneur de livres anciens américain. Neveu du magnat des chemins de fer Collis P. Huntington, il occupe une position influente dans le Southern Pacific Railway. En 1898, il achète le Los Angeles Railway (LARy) ; promouvant le développement du chemin de fer électrique, il forme en 1901 le Pacific Electric Railway.

Il s’intéresse aux livres très jeune mais ne commence à les collectionner qu’à partir de 1903. Sa fortune lui permet non seulement d’acheter des livres rares mais aussi d’acheter des librairies entières. Ses achats notables incluent la E. Dwight Church Library of Americana, la collection Wilberforce Eames constituée d’environ 12,000 « imprints » américains (i.e. imprimés tels qu’affiches, placards, etc.) parmi les premiers qui furent produits et la collection de Sir Thomas Egerton. En 1919, Huntington crée un trust afin de mettre sa collection à la disposition du public. source. : https://www.britannica.com/biography/Henry-E-Huntington

Thomas Egerton (1540-1617), 1ᵉʳ baron Ellesmere puis 1ᵉʳ vicomte Brackley, est un homme politique anglais qui occupe le poste de lord chancelier pendant plus de vingt ans sous Jacques Iᵉʳ, de 1596 à 1617. Il est également Master of the Rolls de 1594 à 1603.

De nouvelles recherches doivent encore être entreprise pour mieux appréhender la constitution des premiers fonds d’estampes aux Etats-Unis. Mais l’existence de ces fonds comme des fonds plus récents laisse clairement entrevoir que les Etats-Unis constituent aujourd’hui à eux-seuls un immense marché de l’estampe qui n’a rien à envier au marché européen.

Fin de l’article.

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *